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Biographie

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Mise à jour, le 25 février 2017

 

  • Biographies et entretiens de Henri Thomas (1912-1993)

 

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    • I) Biographies :
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    • Pauline JODIN nous a fourni ce tableau généalogique, nous la remercions.

 

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Nous proposons ici trois biographies.

 

La plus complète et la plus récente, est celle de Pierre Lecoeur, issue de sa thèse, la seconde est celle de Hervé Ferrage, la troisième est celle du site Gallimard . Nous remercions les auteurs.

 

 

Biographie de Henri Thomas par Pierre Lecoeur :

 

L’enfance de Thomas est placée sous le signe du deuil, de la solitude et de l’exil. Né en 1912 d’un père agriculteur et d’une institutrice, dans le village vosgien d’Anglemont, Thomas se retrouve orphelin de père à l’âge de six ans. Ce traumatisme est suivi d’un déménagement que l’enfant vivra comme un exil. En 1924, l’enfant est envoyé, chez son oncle, à Mulhouse, où il entre au collège. Inadapté, débordé par les remous de la préadolescence, l’enfant est renvoyé à sa mère au bout d’un an. Désormais, la hantise de l’échec sera une réalité quotidienne. Suivent les années passées dans le « sale petit collège » de Saint-Dié, devenu Saint-Romont dans le premier roman de Thomas, Le Seau à charbon (1940). Années de détresse morale où les tourments de l’adolescence prennent une ampleur singulière mais qu’éclaire la découverte de la poésie, et avant tout de Rimbaud, soutien et influence majeurs. La dernière année, Thomas envoie à Gide un appel au secours : « Si vous êtes l’ami des jeunes gens, il faut me tirer d’affaire » Le « contemporain capital » répond et conseille à Thomas de passer son baccalauréat. Inscrit au Concours Général, Thomas obtient le premier prix en philosophie, à la surprise de la communauté du collège, auprès de laquelle il passe pour un marginal. Après une année de Première Supérieure au lycée Poincaré de Nancy, en 1932, Thomas est inscrit en Khâgne, au lycée Henri IV. Il y fait la connaissance d’Emmanuel Peillet et de Philippe Merlen, les futurs fondateurs du Collège de ‘Pataphysique. Thomas éprouvera, à la fin de sa vie, le besoin de se retourner sur ces personnages et cette institution qui l’ont fasciné, dans l’un de ses plus beaux romans, Une saison volée. (1986) Gide lui apporte soutien moral et matériel, et l’héberge fréquemment. Il rencontre Paulhan à qui il soumet des textes , entame une correspondance avec Adrienne Monnier, fréquente Gide et Pierre Herbart. Il écrit des récits, ébauchés ou complets, dont certains seront publiés à la fin de sa vie et après sa mort . Après un double échec au concours de l’Ecole normale supérieure, Thomas renonce à l’enseignement. Après son service militaire et des velléités de départ et d’engagement (en U. R. S. S. avec l’appui de Gide, en Espagne où il compte rejoindre les brigades internationales), il étudie l’Allemand un an à l’université de Strasbourg, en 1937, expérience qui nourrira son roman Un Détour par la vie (1988). Le 15 janvier 1938 paraissent dans le premier numéro de Mesures quinze poèmes que Thomas avait confiés à Paulhan. Il en publiera dans une multitude de revues (Arts et Idées, Cahiers du Sud, Comoedia, Confluences, Existences, Botteghe Oscure…), avant de les confier presque exclusivement à La N. R. F., à partir des années cinquante. Son premier recueil, Travaux d’aveugle, paraîtra chez Gallimard, en 1941. En décembre 1938, Thomas met la dernière main à son premier roman , Le Seau à charbon, qu’il a écrit deux fois, ayant perdu son manuscrit. Le Seau à charbon, que Gide aime beaucoup , est confié à Gallimard, qui le publiera en 1940.

Puis c’est la guerre. Thomas se bat en Moselle, dans un corps de tirailleurs algériens, avant d’être affecté dans le Génie à Bergues, dans le Nord. Il connaît la débâcle, Dunkerque, et est démobilisé à Auch. Cette expérience servira de cadre aux passages les plus marquants de son deuxième roman, Le Précepteur (1942). Thomas rejoint Gide à Cabris (Alpes Maritimes) où il séjourne jusqu’à l’automne. Il loge à La Messuguière, résidence pour écrivains fondée par Aline Mayrisch de Saint-Hubert avant la guerre, et qui a accueilli maints hôtes prestigieux : André Gide, Albert Camus, Roger Martin du Gard, Jules Supervielle, Herbert Marcuse…Thomas décrit ce lieu, qui l’émerveille, comme « une sorte de château plein de livres, de Matisse, de Dufy » . Durant ce séjour, il présente à son hôte son ami Jean Lambert, qui deviendra un proche de Gide et épousera sa fille, Catherine, en 1946.

Il passe la fin de l’année 1940 rue Vaneau, au domicile parisien de Gide, qui a mis un studio à sa disposition. Les années suivantes, il vit tantôt dans des hôtels parisiens, tantôt à Saint-Germain-en-Laye, dans la famille de sa première épouse, Colette Gibert, qu’il a rencontrée en 1941, et épousée un an plus tard. La jeune femme, qui souffre de problèmes psychiatriques, s’enfonce peu à peu dans la folie.

Années difficiles, les années de l’Occupation auront néanmoins été riches et exaltantes, et illuminées par l’amitié. À Paris, Thomas fréquente Cioran, Adamov, Mouloudji… Il correspond très régulièrement avec Paulhan, entame une correspondance avec André Dhôtel. Dès 1942, il correspond avec Armen Lubin, poète arménien exilé qui a publié plusieurs volumes de poésies et de proses en français, entre 1942 et 1968. Dordivian, un personnage étonnant et émouvant d’Une Saison volée (1986), devra beaucoup a cet ami cher, ce « prince grabataire, d’une délicatesse infaillible » , mort tuberculeux en 1974. En 1945, Thomas correspond avec Artaud, « témoin tragique de notre époque tragique » et projette de lui consacrer un livre . Il est, en 1946, la première personne à lui rendre visite à l’hôpital psychiatrique de Rodez.

Sous l’Occupation, Thomas a publié deux romans, Le Précepteur (1942) et La Vie ensemble (1945), consacrés, comme Le Seau à charbon, aux misères, espoirs, et tiraillements de la jeunesse. Thomas a puisé son inspiration dans des périodes de sa vie plus récentes que dans son roman de collège. Les deux romans se déroulent avant et après les combats de la drôle de guerre. Pour Le Précepteur, Thomas s’est souvenu des mois qu’il a passés au service des enfants d’un garagiste parisien, en 1938. Le Précepteur est un roman réflexif, constitué de plusieurs textes attribués à un jeune homme inquiet, soucieux d’une existence authentique qu’il souhaite atteindre à travers une discipline de vie ascétique et d’une relation vraie au monde et aux autres, tissée dans la pratique exigeante de l’écriture. La Vie ensemble est très proche du Précepteur par ses thèmes, mais se déploie sur un fond discret d’utopie et d’idéalisme. Ce roman, largement dialogué, retrace le cheminement intérieur de quatre jeunes gens qui, par des voies diverses mais en se soutenant par l’amitié et la confiance mutuelles, tentent d’apprendre à vivre dans le vrai et l’harmonie. Leur amitié, objet de tous leurs soins, représente à leurs yeux un jalon indiquant la voie menant à une société et à un monde meilleurs.

C’est pendant les années noires que Thomas entame sa carrière de critique et de traducteur. Il publie de nombreux articles ou notes critiques, consacrés à des auteurs français et étrangers : Simenon, Carco, Tardieu, Steinbeck, Kafka, Stefan George… Le travail de bibliographie le plus complet à ce jour recense plus de cent trente articles de critique publiés par Thomas, ainsi qu’une quarantaine de préfaces, postfaces ou prières d’insérer. Certains de ces articles seront réunis dans les recueils La Chasse aux trésors (1961) et La Chasse aux trésors II (1992). Thomas a consacré des essais à Corbière et à Fargue, deux figures auxquels il était particulièrement attaché : Tristan le dépossédé (1972) et A la rencontre de Léon-Paul Fargue (1992).

En 1940, il fait état, auprès de Gaston Gallimard, de ses connaissances en Allemand, et lui propose ses services . L’année suivante, il traduit Torquato Tasso, de Goethe, pour la « Bibliothèque de la Pléiade ». Ce travail de traduction est le premier d’une longue série. Suivent trois ouvrages d’Ernst Jünger, Sur les falaises de marbre, Le Cœur aventureux et Jeux africains , dont Thomas rencontre l’auteur en décembre 1941. Comme traducteur, Thomas s’est essentiellement intéressé à la littérature de langue allemande : Outre Torquato Tasso et sept livres de Jünger, il a traduit Brentano, Stifter, Achim von Arnim, Brunner, Hofmannsthal et Kleist . Après la guerre, Thomas traduit Nietzsche, pour la « Bibliothèque de la Pléiade » , mais le projet éditorial n’aboutira pas. Les littératures anglaise et américaine ne sont pas en reste avec trois tragédies et les Sonnets de Shakespeare traduits pour les éditions Formes et reflets dans les années cinquante, Le Grand escroc de Melville, les Proses, poésies et essais critiques de jeunesse de Faulkner, et un roman de Nicholas Mosley, Accident . Enfin, on doit à Thomas une traduction du Convive de pierre et de La Roussalka, de Pouchkine, et des Satires de Perse .

Pendant les années de l’Occupation, Thomas a noué de nombreuses amitiés dans le monde littéraire. Ces années et celles qui suivront la libération sont pour lui une période d’effervescence intellectuelle, de projets, de compagnonnage fructueux. En 1945, Thomas s’occupe pendant trois mois de la page littéraire de la revue Terre des hommes, dirigée par Pierre Herbart. Avec Marcel Bisiaux, Alfred Kern (rencontré à Terre des hommes), André Dhôtel et Jacques Brenner, il fonde la revue 84, dont le siège se trouvait au 84, rue Saint-Louis-en l’Ile, chez Marcel Bisiaux, dans un appartement où Thomas a été hébergé à plusieurs reprises à la fin de la guerre. Dix-huit numéros paraissent entre 1947 et 1951.

A cause de la maladie de son épouse, Colette, le couple s’est désagrégé rapidement. C’est en partie pour fuir cette part de son existence que Thomas commence à voyager, dans les années d’après-guerre. Contemplant les montagnes qui cernent Saint-Dié, le collégien pensait : « ces barrières noires couvertes de neige et vraiment impassables pour un piéton, derrière, il y a un monde… » Les décennies qui suivent la guerre semblent dévolues à l’exploration de ce « monde », dont Thomas va arpenter tantôt les lieux retirés et sauvages, tantôt les étendues urbaines où la solitude naît de la promiscuité. Ces pérégrinations sont la trace d’une démarche complexe associant fuite, recherche d’un « vrai lieu », favorable à l’écriture et, au-delà, offrant une certaine qualité de présence à soi et au monde.

Entre 1947 et 1958, la vie de Thomas est un incroyable ballet entre Londres, où il travaille comme traducteur pour la B. B. C. et habite un nombre incalculable d’appartements, la Corse, où il se retire dès qu’il en a les moyens, Paris, centre attirant et repoussant, séjour obligé de la vie littéraire… Aux aléas de la vie d’écrivain s’ajoutent les tourments du cœur et la détresse morale : amours compliquées, aventures misérables des nuits de Londres et de Paris, solitude vertigineuse… A Londres, en 1950, Thomas rencontre Jacqueline le Béguec, qu’il épousera en 1957. Une fille naît de leur union, le 12 avril 1954 : Nathalie. Jacqueline apporte une certaine stabilité à Thomas, qui se souviendra néanmoins des années passées à Londres comme d’une période de misère.

Après la guerre, Thomas, qui publie de la poésie (Le Monde absent, 1947, Nul désordre, 1950) et des notes autobiographiques (Le Porte à faux, 1948), semble s’être détaché du roman. En 1946, il écrit à Pierre Leyris : « A un moment, j’ai été beaucoup préoccupé par du progrès personnel. Je me demande si ce n’est pas une illusion » . On doit associer à cette prise de conscience la « crise » que connaît l’écriture romanesque thomasienne dans les années d’après-guerre. Comment écrire, quand la mise en scène du progrès personnel dans des fictions teintée d’autobiographie a fait son temps ? Après un silence romanesque de quelques années, l’œuvre romanesque change de tonalité, de thématique et voit se modifier son rapport aux expériences personnelles de l’auteur. A propos des romans publiés dans les années cinquante et soixante, années de fécondité et de renouveau sur le plan de la création romanesque, François Jodin a parlé fort justement de « pages arrachées à la nuit » . L’ensemble de ces romans constitue un ensemble doué d’une grande cohérence formelle et thématique. Dans la plupart d’entre eux, un narrateur héros ou témoin retrace une expérience des limites dans laquelle il s’est trouvé brutalement plongé, expérience de dépossession par laquelle il se trouve porté vers un obscur « fond de la vie » sis aux lisières de la vie et de la mort. Il y est confronté à une dimension ultime de la présence, une présence à l’état sauvage, irréductible aux schèmes existentiels usuels et vouée à se manifester le plus sûrement sur fond de mort ou d’absence. Cette révélation fragilise son ancrage social, ses repères existentiels et moraux, et remet en question la catégories langagières qui organisent sa vision du monde. Cette expérience est associée à un espace où se projettent les questionnements du narrateur, un espace à demi fantastique auquel ces romans doivent en partie leur dimension aventureuse : labyrinthe urbain et nocturne dans La Nuit de Londres, wilderness corse dans Les Déserteurs (1951) et Le Promontoire (1961), grandes étendues américaines dans Le Parjure, désolation d’une île bretonne dans Le Poison des images … Le déploiement de ces questionnements et des univers cohérents et typés qui y sont associés va de pair avec un renoncement à l’inspiration et aux enjeux nettement autobiographiques des débuts.

Le renouvellement du romanesque thomasien, au profit d’aventures ontologiques enracinées dans un espace fascinant et « dramatisé », fait écho à une préoccupation qui va se révéler être une donnée essentielle de l’existence thomasienne : la recherche d’un « vrai lieu ». Cette recherche est mue par les nécessités matérielles – « il faut vivre » – et « l’exigence de l’œuvre », elle-même fortement intriquée avec des d’aspirations d’ordre existentiel, aux conséquences parfois paradoxales. De fait, partout où il vit, Thomas est un résident instable, et dont les jugements quant aux lieux de vie varient considérablement. Ainsi rêve-t-il en 1951 « d’un établissement durable (et pourquoi pas jusqu’à ma mort) entre les montagnes d’une île et la Méditerranée. C’est là que je pourrais trouver mon langage, là seulement » . Or, alors qu’il se repose à Cabris, en septembre 1952, il observe : « j’ai été délabré en quittant Londres. Le regain me fait repartir dans une espèce de roman tout rempli de mes images de Londres (comme quoi il fallait aussi le délabrement…) » . Et après une année passée aux Etats-Unis, Thomas considère Londres, où il fait un court séjour, comme son pays natal… En 1948, il associait triomphalement cette ville à la liberté… et dénonçait sept ans plus tard son « atmosphère crétinisante » ! Sa relation à Paris est plus complexe encore…

Cette instabilité, dont les déplacements de Thomas donnent la mesure, concerne à vrai dire tous les domaines de son existence. Loin de s’estomper avec la maturité, elle s’affirme, et avec elle une forme de marginalité. Thomas est un homme pour qui la notion de place, de situation (sur le plans géographique, social, professionnel, sentimental…) fait problème. Ceci se traduit, à l’extrême, par la « situation impossible » thème récurrent tant dans l’œuvre que dans la correspondance de celui qui écrivit à Gide : « Comme je n’ai guère connu que ce genre de situations, il faut croire à quelque affinité. » Pour ce qui est du travail, Thomas observe : « Très ancien état d’âme, chez moi, cette répugnance à coïncider avec ce qui se fait dans l’entreprise où je me trouve. » Il le prouvera tout au long des deux décennies qui suivent la guerre, décennies qui le verront tour à tour traducteur pour la B. B. C., professeur et lecteur dans une maison d’édition. « Je n’étais pas installé à Paris ; pourquoi le serais-je à Londres », se demande-t-il au début de son premier séjour londonien . Son travail à la B. B. C., entre 1947 et 1958, est intermittent. La première année, Thomas, ayant obtenu la garantie que son poste lui serait réservé, s’absente pendant plusieurs mois. A la fin de l’année 1948, il démissionne, observant que « la B. B. C. a beau lui laisser deux jours par semaine, elle lui mange quand même les cinq autres. » Mais il lui faudra revenir, et signer d’autres contrats. De 1958 à 1960, Thomas et sa famille s’installent à Waltham, près de Boston, où Thomas a trouvé un poste de professeur, à l’université de Brandeis. Il s’y rend avec « d’avance une sainte horreur des Etats-Unis », que le mode de vie américain et la bassesse encouragée par le système universitaire confirmeront. Le couple mène à Waltham une vie quelque peu marginale, s’entourent d’Américains atypiques et de français en exil : Claude Vigée, Yves Bonnefoy, Serge Doubrovsky, Paul de Man… Thomas se souviendra de certains aspects de la vie de ce dernier, et plus précisément des aléas de sa vie conjugale, quand il écrira Le Parjure (1964), histoire d’un jeune intellectuel belge venu s’égarer en Amérique et y défaire le carcan des principes, lois et conceptions qui corsetaient sa vie dans la vieille Europe. L’autre roman « américain » de Thomas, John Perkins (1960), retrace la déchéance d’un couple américain. L’écriture de ce roman de l’incommunicabilité, de l’inhibition, et des passions étouffées jusqu’à la folie, lui a valu d’être rapproché, fort justement, des grands romans puritains. Dans John Perkins et Le Parjure, le souvenir de l’Amérique semble avoir renforcé les thèmes thomasiens les plus sombres : le délaissement, la dépossession, l’incurie… thèmes fascinants car associés à quelque secret, à quelque vérité ultime tapie au cœur de l’être.

A son retour en France, Thomas entre chez Gallimard, comme lecteur de littérature allemande, fonction qu’il assumera jusqu’en 1969 . Mais ses relations avec l’équipe Gallimard sont malaisées et relèvent souvent du malentendu . Thomas écrit en décembre 1963 : « A dire vrai, j’ai un peu l’impression que je compte de moins en moins dans la machine. Les traducteurs ne viennent plus me voir. Mes projets échouent généralement , mes notes restent sans réponse. On continue à ma payer, peu, pour que je reste tranquille dans mon coin, sans doute. »

En 1965, Thomas perd sa femme, qui souffrait d’une polymyosite depuis plusieurs années. Profondément déstabilisé, il mène une vie hasardeuse, renonce à ses activités chez Gallimard et publie peu. Il confie sa fille à un couple d’amis. Un ami d’enfance met à sa disposition un appartement rue Paul Fort, dans le XIVème arrondissement, mais Thomas fuit Paris, qui le « suffoque » et passe beaucoup de temps en Bretagne, à Quiberon. En 1971, il découvre l’île d’Houat où il fera de fréquents séjours, avant de s’y installer quelques années plus tard.

Thomas rencontre en 1981 Claudine Lecoq, une jeune femme qui deviendra sa compagne. En, 1982, Il s’installe à Houat. Cette année, il écrit à Philippe Jaccottet : «La frange mouvante entre terre et mer me paraît la seule vraie ligne de contact entre l’esprit et … la planète. » (p. 445) De fait, la vie retirée en Bretagne semble propice à l’écriture romanesque. Les six années houataises et les suivantes, passées à Quiberon, se signalent par une dernière – et riche – floraison romanesque. Une nouvelle fois, Thomas a modifié de fond en comble les lignes directrices de sa poétique du récit et les couleurs de son romanesque. A un ami qui lui parle de ses envies de « bousculer l’avenir », Thomas écrit : « Il me semble, de mon côté, que je bouscule un peu le passé, enfin, mon passé. » De même, se demandant ce qu’il va écrire après Le Croc des chiffonniers, paru en 1985 après seize ans de silence romanesque, Thomas note : « j’ai bien des traces sur lesquelles je pourrais repasser avec une meilleure encre. » Ces observations éclairent l’esprit des derniers romans. Pour des raisons internes ou d’enjeux, ils peuvent être qualifiés de rétrospectifs : soit que s’y joue une recherche autobiographique, soit que leurs personnages soient hantés par leur passé. Mais ce passé est présent sous forme de hantises ou d’éclats relevant davantage d’une sorte de rêve que de la chronique intime.

Ce mouvement de reprise se dessine le plus nettement dans Le Croc des chiffonniers (1985). Ce court roman raconte l’errance nocturne d’un vieil homme qui marche sur les traces de l’enfant qu’il fut et renoue, dans un trajet qui s’apparente à une passion, avec la présence d’un père tôt perdu. Dans Une Saison volée (1986), Le Gouvernement provisoire (1989) et Le Goût de l’éternel (1990), Thomas brode des fictions erratiques entremêlées de souvenirs. Chacun de ces romans se développe à partir de souvenirs plus ou moins décontextualisés, d’autobiographèmes parvenus à une autonomie légendaire. Dans Une Saison volée, Thomas ressuscite Paul Souvrault, qui renoue avec Paris et son passé après un séjour en Amérique, et l’affronte à une figure qui l’a fasciné : celle d’Emmanuel Peillet, son condisciple au lycée Henri IV, fondateur après la guerre du Collège de Pataphysique. Le Goût de l’éternel, roman plein des souvenirs de Cabris, est hanté, lui, par la figure non moins fascinante de Pierre Herbart. Thomas écrit en 1986 : « Herbart est enterré dans le cimetière de Cabris sur la vallée. Le voilà enfin tranquille. Peut-être pas, car j’ai rêvé de lui qui m’importunait comme jadis. » Remarques intéressantes car elles précisent la nature de ce « passé » que Thomas dit bousculer. Ne serait-il pas, comme l’avenir qui grise les personnages des premiers romans, le lieu d’une révélation promise ?

Sa santé déclinant, Thomas est contraint de quitter Houat en 1988. Il s’installe à Quiberon, rue de Kermorvan. En 1991, il s’installe dans la maison de retraite où est mort Beckett, rue Rémy-Dumoncel, dans le XIVème arrondissement. Il y meurt le 3 novembre 1993.

Copyright Pierre Lecoeur

 

 

Biographie de Henri Thomas par Hervé Ferrage : 

 

 

Ce qui frappe dans l'itinéraire de Thomas, dans l'évolution et les fluctuations de son travail d'écrivain, c'est l'évidence d'un sentiment panique de la vie qui mêle de façon indissociable "délice et supplice de vivre", mouvement positif d'affirmation hors des limites du moi et égarement dans l'opacité d'une existence et d'une histoire singulières. Sa poésie est tout entière placée sous ce signe mais, par son parti pris de familière simplicité et d'humour, elle vise surtout à en alléger les tensions ou à les enchanter doucement et avec grâce. Les oeuvres de fiction proposent une vision plus âpre: c'est habituellement au coeur de la plus totale dépossession, sous la menace d'une catastrophe imminente, que les héros retrouvent avec une soudaineté imprévisible le sentiment émerveillant de leur présence au monde et d'une totalité dans laquelle ils sont compris. Le temps prend alors figure nouvelle, il apparaît comme un fragment d'éternité capable d'en restituer la saveur ou le goût. Mais les personnages de Thomas restent le plus souvent mal à l'aise dans l'existence ordinaire, ils y éprouvent la présence diffuse de regards hostiles portés sur eux. D'où leur instinct de déserteur ou, à tout le moins, de migrateur, leur souci de se dégager de dépendances malheureuses et de reprendre vie, hors du piège. D'où aussi cette prédilection pour les lieux de passage, trains, gares, hôtels, où, sous le signe du provisoire, se jouent leur destin. Le narrateur lui-même, aussi bien dans les récits à la troisième qu'à la première personne, participe à ce mouvement d'affranchissement et accompagne ses héros dans leur quête et leurs vagabondages: dénouant insensiblement les lois de la vraisemblance pour mieux affirmer les droits souverains d'une invention capricieuse, il donne à sa narration un rythme singulier fait d'ellipses et de brusques ruptures au milieu desquelles le lecteur ne trouve son chemin qu'à la faveur de moments privilégiés où le temps vécu semble se rassembler pour nouer ensemble tous les fils du récit. L'expérience d'une dépossession qui devient soudainement heureuse est ainsi partagée à la fois par les personnages, le narrateur et le lecteur selon la loi discrète mais rigoureuse d'une écriture qui mise sur le langage et son pouvoir de relancer à tout instant l'aventure de vivre.

 

Biographie de Henri Thomas selon Gallimard : 

 

Henri Thomas est né le 7 décembre 1912 à Anglemont, dans les Vosges, dans une famille de paysans et d'instituteurs. Il suit des études secondaires à Saint-Dié, puis à Nancy. Entre 1933 et 1936, il est au Lycée Henri-IV, où il prépare le concours à l'École Normale Supérieure, auquel, d'ailleurs, il renoncera. Alain est son professeur de philosophie. La Dernière année, publié en 1960, la même année que John Perkins, est le récit à peine transposé des trois ans passés en Khâgne à Paris, du choix qu'il fait, finalement, de ne pas faire profession d'enseigner la littérature. Après voir effectué son service militaire dans un régiment de Tirailleurs algériens, il commence à voyager. En Europe centrale et en Espagne. Souvent à pied. Ses premiers poèmes sont publiés dans Mesures, en 1939, date à laquelle il est mobilisé, dans les Tirailleurs, avant d'être détaché interprète. Après la retraite de Dunkerque en 1940, il passe en Angleterre, puis séjourne à Pavie dans le Gers et se replie à Grasse, où il rencontre Gide, Michaux, Martin du Gard - son premier roman Le Seau à charbon venait d'être publié. De retour à Paris en 1941, il est chargé de classer et de mettre à l'abri la correspondance de Gide. Il publie alors son premier recueil de poèmes Travaux d'aveugle.

Déjà poète, déjà romancier à moins de trente ans, dès 1942, Henri Thomas publie ses premières traductions. De l'allemand, il traduit notamment Goethe, Ernst Jünger (Sur les falaises de marbre, Le Cœur aventureux, Jeux africains), Adalbert Stifter (Les Grands Rois et autres récits). Du russe, il traduit Pouchkine (Le Convive de pierre). De l'anglais, Melville (Le Grand escroc), le théâtre et Les Sonnets de Shakespeare, les Poèmes de jeunesse de Faulkner.

À la Libération, il devient secrétaire littéraire de Terre des Hommes, dont la direction est assurée par Pierre Herbart. Puis il rencontre Marcel Bisiaux, avec qui il fonde la Revue 84 qui verra naître quatorze numéros auxquels collaboreront Antonin Artaud, Pierre Leyris, André Dhôtel et, bien sûr, Bisiaux et Thomas eux-mêmes. Le premier numéro sort en 1947. Henri Thomas était parti l'année précédente à Londres, travailler dans le service de traduction de la BBC où il restera dix ans, non sans faire de longs séjours en France, et surtout en Corse.

En 1958, il accepte la chaire de littérature française à l'Université Brandeis aux États-Unis, qu'il occupe pendant deux ans. De là, de nouveau, il voyage. En Californie. Au Mexique.

Quand il rentre en France en 1960, il a déjà publié quatre recueils de poésie, deux recueils de nouvelles, cinq romans, ses traductions de Jünger, Melville, Pouchkine, Stifter, Shakespeare..., et un recueil de critiques, La Chasse aux trésors. Y sont réunis ses essais sur Verlaine, Supervielle, Saint-John Perse, Melville, Larbaud, Paulhan, etc., où Henri Thomas analyse les œuvres et fait parallèlement état des bouleversements sensibles qu'il aura subis, en sa qualité de lecteur subjectif.

Et l'année de son retour, Henri Thomas publie encore Histoire de Pierrot et autres (nouvelles), La Dernière année (roman) et John Perkins qui lui vaut le prix Médicis. L'année suivante, il entre aux Éditions Gallimard pour s'occuper des ouvrages en langue allemande. Il publie Le Promontoire. Il obtient le prix Femina.

« Tous les personnages d'Henri Thomas, écrit Alain Clerval cette année-là, sont des rêveurs, mais des rêveurs d'une espèce singulière. Contrairement à ces hommes d'une idée ou d'une passion qui refont le monde à leur mesure, ils font appel à l'imaginaire comme au seul recours capable de les soustraire à la vérité qui les consume et les dévore. »

Henri Thomas est décédé le 3 novembre 1993 à Paris.

© www.gallimard.fr 2005

 

 

II) Entretiens :

 

1) Le précieux film de François Barat, entretiens entre Henri Thomas et Marcel Bisiaux.

 

Collection : Les Hommes-livres, dirigée par Jérôme Prieur.

 

Production : INA/FR3/avec la participation de la DLL

Année : 1989

Durée : 56min

Résumé : François Barat qui avait déjà adapté deux récits d'Henri Thomas, La Cible et La Relique, écrit à propos de ce film : " C'est un grand bonheur de dire : vous avez tout à lire d'un écrivain - tout - et de se dire que de nombreux lecteurs auront d'intenses moments de lecture. Et puis la découverte d'un poète pour un public vaste est une mission peu commune et exaltante. Le film est un montage ; le portrait s'élabore en taillant dans l'ensemble de l'entretien, en disposant les mots et les phrases et les attitudes de manière à constituer une vaste image narrative ".

 

Transcription dans Henri Thomas, Cahier 13, dirigé par Paul Martin, Le temps qu'il fait, 1998, p.259-277

 

 

 

2) Signalons les entretiens forts riches de Alain Veinstein avec Henri Thomas, Les heures lentes, éditions Arléa, 2004. Transcription des Nuits magnétiques, 1983, France Culture.

 

Saluons la belle préface de Veinstein, La fenêtre et la lucarne, cet auteur qui fut aussi l'éditeur, chez Plon, en 1989, du carnet, Compté, pesé, divisé.

 

3) Entretiens avec Christian Giudicelli, France Culture, « À voix nue », avril 1975 (5 parties).

 

La retranscription de ces entretiens a paru dans la revue orléanaise Théodore Balmoral, n° 46-47, printemps-été 2004, p. 136-147 ; n° 48, hiver 2004-2005, p.156-178, et enfin N°49.

Né à Anglemont, dans les Vosges, le 7 décembre 1912, Henri Thomas appartient par sa mère, institutrice, à une famille de fonctionnaires républicains et se rattache, par son père, au monde paysan. Cette double origine dont la mort précoce de son père, à la fin de la Première Guerre Mondiale, a renforcé à ses yeux la signification contradictoire, reste, tout au long de l'oeuvre, le motif d'une quête à la fois inquiète et mythique qui trouve le plus souvent dans la forme romanesque son expression adéquate. Alors qu'il termine ses études secondaires au collège de Saint-Dié, où il lit avec passion les poètes qui l'accompagneront toute sa vie (Baudelaire, Rimbaud, Corbière essentiellement), Thomas reçoit le premier prix au Concours Général de Philosophie, ce qui lui permet de venir à Paris où il devient l'élève d'Alain à Henri-IV. Ayant renoncé au concours d'entrée à l'E.N.S., il fait le choix d'une vie plus précaire et incertaine, marquée par de nombreuses amitiés littéraires et une importante activité de traducteur, d'essayiste, de romancier et de poète. Proche de Gide et du groupe de La N.R.F. (Paulhan, Arland etc.), il publie son premier roman, Le Seau à Charbon, d'inspiration essentiellement autobiographique, en 1940, et son premier recueil poétique, Travaux d'aveugle, l'année suivante. Après la guerre, il travaille pendant une dizaine d'années à Londres à la B.B.C. puis, marié et père d'une petite fille, il part, de 1958 à 1960, aux Etats-Unis comme professeur à Brandeis University, près de Boston. De même que son expérience londonienne lui avait inspiré La Nuit de Londres (1956), où il décrit les errances d'un homme dans la foule et la solitude nocturne des grandes villes, son expérience américaine est à l'origine de deux romans, John Perkins (Prix Médicis 1960) et Le Parjure (1964) qui, chacun à leur manière, prennent acte d'une profonde déréliction humaine dans un monde que les dieux ont déserté sans retour mais où la sensation aiguë du réel reste intacte. Si Le Promontoire (Prix Femina 1961) lui assure une certaine notoriété et confirme la force d'une écriture qui allie dépouillement, phrasé quotidien et sens inné de l'étrangeté, il faut aussi en noter la valeur prémonitoire. Comme le narrateur de ce récit, Thomas, en 1965, devient veuf. Rendu à la solitude et à ses vieux démons, il traverse alors de longues années sombres pendant lesquelles il publie peu, sinon deux recueils de nouvelles et un essai sur Tristan Corbière, Tristan le dépossédé, en 1978. Son inspiration poétique semble également décliner et, après Sous le lien du temps (1963) où se mêlent notes de carnet et poèmes, il ne publie plus guère que trois minces recueils au cours des dix dernières années de sa vie. Sans doute faut-il en chercher la raison dans la prééminence désormais accordée à l'écriture romanesque. Il n'y revient, certes, qu'en 1985, avec Le Croc des chiffonniers, mais c'est alors le début d'une intense activité créatrice, presque une renaissance, qui se poursuit, à raison d'un récit par an, jusqu'à la publication de Ai-je une patrie en 1991. A partir de cette date, de graves ennuis de santé diminuent considérablement son activité et il meurt à Paris le 3 novembre 1993, après avoir publié encore quelques brèves études critiques, un recueil de notes (La Joie de cette vie, 1991) et deux récits plus anciens restés jusqu'alors inédits (Le Cinéma dans la grange en 1992 et Le Poison des images en 1993).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

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